Vol plané

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Vanity Fair n° 41 – novembre 2016

Quel délicieux moment quand au cours d’un voyage je me retrouve dans un avion confortablement installé en business class choyé par le personnel de bord. Sauf, quand à 45 minutes de l’arrivée le commandant vous annonce qu’une petite avarie va nous obliger à nous poser avant l’heure. Nous survolons les Alpes. Je déteste entendre ce ‘’NOUS’’ enrôleur et solidaire qui tente à me faire croire que ‘’NOUS’’ allons tous mourir. Je veux immédiatement me désolidariser de cette figure imposée. Je reste bien assis sur mon siège alors que certains passagers montrent des signes de fébrilité. Une vieille bigote égraine des prières d’une voix de plus en plus forte. Un bébé se met à pleurer comme révélant l’inquiétude qui monte dans la carlingue. Un rire sardonique et tonitruant retenti quelque part dans la cabine, l’un des passagers semble avoir entendu la plus grande vanne de sa vie… Mes pensées se bousculent. Je regrette soudainement d’avoir provoqué des amis lors de mon dernier diner en ville. Je leur affirmais, à l’évocation des nombreux cancers qui se déclaraient dans nos entourages, de renoncer à me soigner si on m’en diagnostiquait un. Je refuse le calvaire de l’empoisonnement chimiothérapique et accepte la fatalité – sauf que là tout de suite, je ne veux pas mourir ! Je refuse la descente aux enfers. Rejoindre mon frère, mort lui aussi de mort violente. Cette fatalité amie me devient insupportable. Ce frère qui remonte à ma mémoire. Le plus voyou des deux, celui des bases besognes – jamais peur de rien – d’une générosité imbécile, ce frère avec lequel j’étais parti en montagne pour une escalade, ce frère qui s’est sacrifié, et l’avion descend, je vais mourir. Nous étions encordés et avons dévissé. Suspendus dans le vide, il a coupé la corde pour me libérer et me permette de sauver ma peau, m’a regardé, m’a souris, et il a coupé la corde sans rien dire. S’il ne l’avait pas fait, il ne serait surement pas dans cet avion aujourd’hui à ma place, et nous pourrions vivre tous les deux. Agh ! non, je suis déjà mort. Cela est supportable après tout. La vie, la mort les deux faces d’une même insouciance, d’une même farce. Rejoindre mon frère et pouvoir enfin m’expliquer avec lui sur le fondement de son sacrifice. S’il m’avait donné le choix, aurais-je eu le courage de me sacrifier pour lui ? Mais au fond, c’est lui le lâche. Dans son décrochage glorieux il m’a condamné à vivre dans l’ombre familiale de son geste héroïque. C’est moi qui supporte seul le poids du remord, la culpabilité d’être encore en vie. N’est-ce pas bientôt fini ? Il fait froid dans l’avion, nous penchons terriblement, est-ce que…

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