Vanity Fair n° 27 – septembre 2015
Coquetterie : rien au monde de plus honorifique que d’être présenté comme étant un collectionneur de tableaux ; appartenir à cette élite mondiale et nonchalante qui concède parfois à communiquer hypocritement sur sa passion. Mais à propos de ses œuvres derrière lesquelles cette aristocratie ne se cache pas mais dont elle revendique la propriété, s’est-on seulement posé la question de savoir quelle était leur meilleure place ? A l’atelier, dans les salons particuliers, au musée… sur les murs du château de Versailles ?
Un ami notaire me raconta l’histoire d’une succession hors du commun qu’il eut à régler. Un père de famille, important propriétaire de milliers d’hectares de champs d’oliviers dans le sud de l’Europe, nourrissait avec un goût très éclectique une passion secrète pour les tableaux et les peintres. Il parcourait la planète pour visiter les musées, avait accès à quelques collections particulières et rencontrait les artistes avec lesquels il affectionnait tout particulièrement de refaire le monde en passant des soirées à boire des coups inspirés. Il n’était pas très souvent chez lui et ne ressentait pas trop le besoin de posséder pour posséder – quel intérêt d’entasser des trésors si on ne peut pas en profiter ? Cependant en toute discrétion il constitua une petite collection qu’il dissémina chez des amis choisis. Les artistes et marchands étaient contents de vendre ; les dépositaires se voyaient rappeler au joyeux souvenir de leur ami à la vue des tableaux prêtés.
Après son décès ses enfants découvrirent l’existence et l’éparpillement des chefs-d’œuvre. Selon un protocole établi avant sa disparition, l’ensemble des tableaux fut retourné à la succession à l’exception d’une douzaine. Dans un alinéa de son testament le père invitait ses enfants à se rapprocher des douze récipiendaires dont la liste était jointe pour convenir de rendez-vous à l’issue desquels ils pourraient disposer des tableaux.
« Ce lègue particulier que je vous demande d’aller chercher n’est pas accompagné d’un message, c’est une nouvelle conversation que je vous invite à ouvrir entre les tableaux, mes amis et vous.
Allez les voir dans l’ordre qu’il vous plaira, chaque rencontre devra vous apporter la joie que j’ai eu de les croiser un jour pour les partager très vite. Vous repartirez avec ou pas, le choix vous appartient.
PS. J’ai privilégié des petits formats pour plus de praticité dans vos vies modernes et mouvementées… »