Vivre au nord dans un atelier, une seule pièce ouverte sur le monde avec la sagesse érudite d’attendre que la luminosité traverse les grandes fenêtres et caresse d’une même intensité tous les objets pour offrir un bain de lumière égal et nécessaire au travail de l’artiste. Heureusement je ne cherche pas le soleil éblouissant et superfétatoire pour me réconforter à ses rayons dévastateurs, je dépose patiemment en hiver mes bûches dans l’âtre du vieux poêle Godin auprès duquel je me réchauffe les mains dont j’oublie le refroidissement, emporté par mon esprit en ébullition de créateur patenté.
Je considère la rue comme le prolongement de mon atelier, je sors sans me changer. Hier soir, alors que je me rendais Chez Marcel de Montparnasse pour diner, j’ai croisé Mathilde, elle poireautait en bas de chez elle, contrariée et triste de ne pas voir son galant arriver ; elle accepta mon invitation incongrue mais amicale de partager un plat du jour au restaurant, puis la fin de la bouteille de Côtes du Rhône à la maison. Je suis parti diner seul, je reviens accompagné. Mathilde est jolie, elle a froid, je lui propose un plaid. Au cours de notre agréable conversation elle demeure secrète et réservée mais jamais, et cette qualité me plait, elle ne se réfugie derrière un petit rire gêné et gênant – méchante manie des personnes indigentes. Je lui propose de la croquer nue, car j’ai envie de la découvrir d’avantage, elle n’esquive pas la question, se lève et commence à se déshabiller tout en se rapprochant du poêle. Son espièglerie intelligente et pratique me prend de court. Je la retiens amusé et désolé : non, non, pas maintenant ! Elle continue son geste désinvolte et volontaire. Je ne dessine et ne peins que le jour. Elle me suggère, dans un soupir, que nus nous pouvons aussi faire l’amour ! Mon atelier n’est pas une alcôve. Je m’en désole avec elle. Je la supplie d’avoir la patience d’attendre les prochains jours et de bien vouloir accepter mon antre comme un lieu de vie et de travail où je cultive l’obsession de sonder l’invisible. Avec ma peinture je veux donner corps aux esprits-volutes, aux pensées agitées et silencieuses de nos désirs et de nos peurs que génèrent les êtres et les choses prégnants. Avec mes toiles, comme la fumée révèle les faisceaux des projecteurs, je veux dévoiler les ondes qui nous rapprochent : l’invisible exige d’être partagé.
Elle me trouve bien sérieux pour un artiste…