Vanity Fair n° 22 – avril 2015
Non, je n’ai jamais rêvé d’être l’héritier d’un quelconque consortium industriel, trop certain qu’avec trop de propriété commencent les ennuis… Petit garçon mon idéal consistait, bien entendu, à vouloir ce que je n’avais pas. Non content d’habiter un appartement dans les beaux quartiers assez grand pour y apprendre à faire de la bicyclette – j’ai ainsi pu frimer devant les copains en pédalant très vite sur les trottoirs sans être équipé de petites roues ridicules et humiliantes – j’aurai voulu que mes parents possèdent un Bar-Restaurant pour vivre au-dessus (de nos moyens !). L’idée a sans doute germé au moment où ma sœur, mes parents et moi avons pris tous nos repas au bistrot du coin le temps que notre cuisine soit entièrement refaite. Jamais les croissants et le chocolat chaud ne me parurent aussi bons. J’ai construit à partir de cette heureuse expérience un lieu de vie idéal dans lequel je me voyais évoluer sans me soucier des années :
« Je suis fils unique, tous les matins je prends mon petit-déj’ au bar. Mon père ressemble à Jean YANNE, ma mère à Brigitte BARDOT. Notre berger allemand est une femelle, elle s’appelle Stella et veille sur moi. Papa est toute la journée derrière son bar. Maman porte de jolies robes à carreaux vichy. Les affaires tournent bien, cela me rassure. Je déjeune à la cantine car à midi Maman aide Papa en salle et elle n’a pas le temps de bien s’occuper de moi. Quand je rentre après les cours le truc que je trouve le plus génial au monde est de passer par le restaurant pour rejoindre l’appartement. J’embrasse Papa, les habitués me saluent et je monte chez moi par une porte dérobée dissimulée dans un mur de la salle du 1er étage. Parfois, je surprends amusé des amants qui s’embrassent. C’est ça la vie ! Je sais que cela va m’enchanter, plus tard. Arrivé au 2e étage en haut de mes volées d’escalier, je suis bien, au calme, à l’abri du tumulte.
Aux yeux de mes copains que j’invite à mes anniversaires – avec limonade à volonté – je suis le garçon le plus chanceux de l’école. « I agree » comme on dit en Amérique. Ils ne connaissent pas le passage secret car nous ne privatisons pour eux que la salle du 1er. Je tiens à mon domaine exclusif et réservé.
J’ai 7 ans en 1968 et, plus tard, ça y est c’est décidé, je veux être François TRUFFAUT.
God save Les Batignolles ! »