Archives de catégorie : Ubarius, un brin rêveur avec Vanity Fair

Je partage avec vous le voyage que je fais chaque mois en lisant Vanity Fair.

Président, président…

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Vanity Fair n° 14 – août 2014

Le président Alfred Bonjardin a passé l’été à l’Elysée. Comme il l’avait promis avant les élections, lui et ses trois vice-présidents ne se sont accordés que très peu de repos. Les observateurs restent sceptiques, les français, eux croient en l’homme qu’ils ont élu il y a cent jours. Sans parti politique, avec sa seule fortune et l’appel à contribution des partisans, il a réussi à financer une campagne originale et victorieuse. Il a su utiliser les nouveaux médias et convaincre tous ceux qui croyaient encore en un sursaut possible de voter pour lui. Jouant la carte de la simplicité, de l’innovation et du bon sens, il a tout de suite mis en application sa mesure la plus emblématique en supprimant le poste de premier ministre pour assurer lui-même la direction de l’état entouré de l’équipe resserrée avec laquelle il a fait campagne : un triumvirat de personnalités compétentes et volontaires venant de gauche, de droite et de la société civile : Hubert Védrine  en charge de la Nation (Sécurité intérieure et extérieure, justice, diplomatie…), Christine Lagarde à l’Economie (Finances, industrie, transport, tourisme…) et enfin, non le moins surprenant des bonhommes, Bernard Tapie à la Personne et au Citoyen (Education, santé, solidarité, culture…). Tout un programme !

Le nouveau président est atypique, héritier d’une riche famille du sud-ouest de la France il demeure libre penseur. Parmi les particularités avec lesquelles plus d’un s’est étranglé, et le tout Paris de se gausser encore ! la contribution de Jean-Jacques Goldman, sorti de sa retraite, pour composer la chanson fédératrice de sa campagne ‘‘Travailler à aimer la France’’ dont le succès se compare à l’hymne écrit pour les Restos du Cœur en 1985.

Alfred Bonjardin, n’a pas hésité à réduire au maximum le protocole et ses déplacements. Il affirme être là pour gérer le pays non pour partager des petits fours avec les différents corporatismes. Il ne se prend pas pour le roi, mais pour le responsable d’une très grande et très vieille entreprise qu’il s’est engagé à redresser avant de prendre une retraite bien méritée. Finis les conseils des ministres longs et fastidieux. Il travaille dans l’urgence avec une équipe efficace et dévouée. La communication est sobre, sereine et discrète. Il ne reçoit à l’Elysée que les représentants des cultes et les artistes émérites. Il organise une fois par semaine, en dehors du Palais, des conférences animées par les plus grands penseurs et intellectuels actuels. Quand on lui reproche son fonctionnement iconoclaste, il répond qu’il est temps d’oser bousculer les idées arrêtées tout en restant fidèle à l’esprit français empreint d’universalité et de générosité.

CHOU-HIBOU-CAILLOU-OUH !

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Vanity Fair n° 13 – juillet 2014

De la séparation de mes parents dans les années 80, je retiens un avantage : j’allais très souvent au cinéma puis au restaurant seul avec mon père. Je me souviens d’un diner où le meilleur spectacle fut dans la salle. Nous eûmes le bonheur d’être les voisins de table d’une belle et grande jeune fille, top model égarée dans un restaurant de quartier se rassasiant d’une salade de haricots verts. Seule entorse à son régime alimentaire, une énorme part de tarte au citron négociée à grands coups d’œillades en direction d’un serveur sous le charme. Mon père trouva plusieurs prétextes pour engager la conversation, il pratiqua son meilleur anglais. Il arriva juste à partager sa panière de pain et le moulin à poivre ! Je me taisais et essayais de calmer mon attrait. Les approches éhontées de mon géniteur m’offraient la formidable opportunité de jeter à la Belle des regards furtifs de désapprobation et d’excuses amusées. Nous avions sensiblement le même âge. Je l’admirais pour sa beauté, l’enviais d’être déjà dans la vie active alors que je suivais encore mes études. Enhardi par nos échanges silencieux je déposai le soir même un message à la réception de son hôtel en l’invitant à nous revoir. Ma franche sollicitude, un brin utopique, d’obtenir un rendez-vous lui plut et aboutit à une entente de plusieurs trimestres parsemée de rencontres dépaysantes agrémentées de conversations légères. Nous nous retrouvions autour d’un verre lors de ses courts passages à Paris. Je n’oublierai jamais le jour où, à la sortie d’un défilé elle me proposa de l’accompagner jusqu’à sa chambre d’hôtel. Elle me prit la main dans le taxi, nous parlâmes peu. A peine entrés dans sa chambre, elle me pria de me déshabiller et se moqua hilare de ma lenteur alors qu’elle fut nue en un rien de temps. Seuls les battements de mon cœur s’accélérèrent ; je ralentis encore d’avantage mes mouvements, subjugué par sa nudité et stupéfait par la subite offrande de son corps magnifique après des mois de prude amitié. Nous nous échappâmes du pelliculage glacé des magazines et de la situation convenue jusqu’à présent pour découvrir ensemble les dessous coquins de la Mode. Sur ce joli terrain d’entente nous laissâmes nos petites mains courir et nos envies de haute luxure nous envahir. Elle me recouvrit avec dextérité le sexe d’un caoutchouc – chou-hibou-caillou : ouh ! Elle descendait des podiums, nous montâmes au 7e ciel croiser mille paillettes rieuses et enchantées…

Quand je lui demanda pourquoi elle avait ainsi voulu passer la nuit avec moi, elle me répondit radieuse, c’était parce je ne lui avais jamais demandé.

La danse des zéros

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Vanity Fair n° 12 – juin 2014

Voyager me fait peur mais je ne conçois pas le bonheur assis… Je découvre sur mon compte bancaire un crédit de vingt cinq millions d’euros – le prix de vente du Christina, l’ancien yacht d’Onassis. En chiffre cela donne 2 5 0 0 0 0 0 0. Avec la danse des zéros, la possibilité de l’achat d’une belle conduite en espadrilles cousues de fils d’or s’offre à moi, ma quête d’envergure appelle des horizons ensoleillés.  Je quitte le nord pour les promesses du sud. J’abandonne la routine et file vers un avenir certain et une garde-robe allégée. Je n’oublie personne, je continue à devenir. Avec la fortune je fais le point. Ni garage, ni piscine, j’accepte la jouissance du monde en héritage et me promets une existence à la recherche de l’émerveillement. Je veux dans un même mouvement embrasser les choses et les êtres. Patiemment.

Dorénavant, je ne bougerai plus de chez moi. J’ai élu domicile dans une maison sans toit. Avec la pluie de zéros je me suis offert une présence entre le ciel et la mer. Mon vieux yacht de 30 mètres vogue sous pavillon alméritain*. Sous les tauds des terrasses du bord je suis à l’ombre des agressions et des contrariétés excessives, loin de tout énervement. Chaque escale, préparée avec l’équipage, est voulue pour me permettre de m’imprégner du territoire que je découvre. Je vais souvent à terre pour me perdre hors des sentiers battus et retrouver la sagesse de l’homme qui se meut lentement. De retour à bord je laisse revenir les souvenirs et déroule le fil de ma déambulation hasardeuse ; je me fixe comme horizon de ne jamais lever l’ancre pour un nouveau mouillage sans avoir couché sur le papier l’histoire invisible qui relate avec sincérité mes rencontres avec les gens et les paysages. Je veux partager et aussi aplanir le minuscule chaos que chaque pérégrination terrestre provoque en moi, sans prendre racines dessiner quelques fleurs pour les offrir à la postérité.

Je rends visite à des amis, ils viennent me voir. L’embarcation est grande, je reçois ma famille quand elle s’invite. Propriétaire de mon navire, je loue le bonheur. Ma vie est un poème, je fuis l’exil, j’aime l’esprit des iles, mon bateau s’appelle l’Inattendu

 

* L’Almérite est l’heureux mariage du ‘’peut-être’’ et du ‘’pourquoi pas’’. La synthèse inspirée de la France-Amérique. Un pays à l’attitude franchement latine doué d’un pragmatisme sans faille : Cassius Clay en tutu dans les bras de Brigitte Bardot, Jacky Kennedy en petite tenue acceptant un tour à moto avec Steve McQueen…

Flou-Flou-Flou !

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Vanity Fair n° 11 – mai 2014

Le monde est flou. Flou-flou-flou ! Les certitudes évaporées, la morale s’égare dans des contrées merveilleuses et fantastiques. Les héros dévissent, les vérités sont bouleversées. Cate Blanchett a quitté la couverture du mois d’avril pour basculer discrètement de l’autre côté du papier miroir. Elle fuit la lumière de la une pour resplendir dans l’ombre d’une publicité en 4e de couverture du mois de mai. Changer de page, bouger les lignes, abolir les frontières. Pierre Soulages, les genoux au sol sur sa toile continue le geste qu’il a initié il y a 67 ans : il peint du noir et éclaire les êtres seuls face à eux mêmes. Je ne sais plus sur quel papier danser. Grace ne se conduisait pas comme une prude et jolie jeune fille de bonne famille, Jérôme, en charge de mettre des prunes aux fraudeurs a été pris les doigts dans la marmelade. C’est la chienlit, dirait le Général ! L’anti héros du clan des Lannister de Game of Thrones se prénomme Jaime ! J’adooore vivre aujourd’hui. Les charmants sont odieux et réciproquement. Il n’y a plus de morale dans la contemplation des choses. En 1968 Andy Warhol prédisait, à l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale. Aujourd’hui, j’avoue ressentir un plaisir malsain à contempler l’immoralité… J’espère, sans y croire un seul instant que cela ne durera pas. Pour parfaire le chef d’œuvre de l’évolution, je ne peux m’empêcher de partager avec vous les onze conseils, prodigués par la police d’une grande ville américaine dans les années 90,  pour faire de notre enfant un bon délinquant.

1. Dès l’enfance, donnez-lui tout ce qu’il désire. Il grandira en pensant que le monde lui doit tout. 2. S’il dit des grossièretés, riez, il se croira très malin. 3. Ne lui donnez aucune formation spirituelle. Quand il aura 18 ans, ‘’il choisira lui même’’. 4. Ne lui dîtes jamais : ‘’C’est mal !’’. Il pourrait en faire un complexe de culpabilité. Et plus tard lorsqu’il sera arrêté pour vol de voiture, il sera persuadé que c’est la société qui le persécute. 5. Ramassez ce qu’il laisse trainer. Ainsi, il sera sûr que ce sont toujours les autres qui sont responsables. 6. Laissez-lui tout lire. Lavez sa vaisselle, mais laissez son esprit se nourrir d’ordures. 7. Disputez-vous toujours devant lui. Quand votre ménage craquera, il ne sera pas choqué. 8. Donnez-lui tout l’argent qu’il réclame. Qu’il n’ait pas à le gagner. Il ferait beau voir qu’il ait les mêmes difficultés que vous. 9. Que tous ses désirs soient satisfaits : nourriture, boisson, confort, sinon il sera ‘’frustré’’. 10. Prenez toujours son parti. Les professeurs, la police lui en veulent à ce pauvre petit ! 11. Quand il sera un vaurien, proclamez vite que vous n’avez jamais rien pu faire… Ne nous préparons-nous pas à une vie merveilleuse ?

Villa Sideratis

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Vanity Fair n° 10 – avril 2014

Après avoir brillé dehors et MORDU DEDANS, je feuillette les dernières pages du magazine dans un parfum de pins et de giroflées capiteuses venu d’Italie, entre Rome et Milan. Impossible de refermer les portes de la villa Médicis. Nous sommes en juin 1962, Balthus, le directeur de l’institution, me reçoit pour diner avec trois invités prestigieux. J’ai fait le voyage avec Orson Welles qui tourne à Paris le procès dans la gare d’Orsay désaffectée. Il est accompagné de deux de ces actrices françaises : Romy Schneider et Jeanne Moreau. Notre hôte qui a fait dresser une table sur le belvédère d’où nous avons la plus belle vue sur Rome nous accueille avec courtoisie et affabilité. Il a le regard futé du peintre traquant le trait pour son prochain dessin. Orson Welles se déplace dans une monumentalité oppressante. Il est de mauvaise humeur et ne nous le cache pas. Nos adorables invitées se lient pour sauver l’ambiance de la soirée avec leur féminité affutée alliant charme et espièglerie. Le diner commence, un maitre d’hôtel s’adresse discrètement à un Balthus légèrement éteint qui se ranime soudain et donne l’ordre de rajouter un couvert supplémentaire : « Nous avons un invité surprise… ». Le temps de nous retourner et apparaît telle une bête sauvage filmée au ralenti, ou une statue descendant posément de son socle, un être dont la présence pétrifie la nature et fait fondre les filles. Orson Welles tire jalousement sur son gros cigare, Balthus sait qu’il a sauvé sa soirée, moi je jubile. Indifférent à l’effet qu’il provoque aux êtres et aux choses, Marlon Brando avance nonchalamment vers nous et vient s’asseoir à côté de Romy. Il est aussi à côté de moi. Je tombe sous l’emprise d’une tempête immobile. Un désastre de séduction est en cours. Je ne peux m’échapper. Je suis un homme dans les yeux de Romy et une femme dans les bras de Marlon ; avant de perdre la raison, pour me sauver, j’implore l’intervention définitive du comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice. Hélas ce comité n’existe pas, sauf en Arabie Saoudite (et page 60 du n° 10) ! Dans la patrie des champs, des fleurs, des villes éternelles et des petits oiseaux dans laquelle j’ai installé mon lit de langueur et de félicité, je gambade tel un esprit libre et heureux qui ne cherche qu’à s’échapper des facéties du monde.

En 1962, je n’étais pas vieux. Le cinématographe découvrait la couleur, Romy Schneider fuyait le Tyrol et Marlon Brando investissait sa vie dans un atoll.

Bain de lumière

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Vanity Fair n° 9 – mars 2014

Vivre au nord dans un atelier, une seule pièce ouverte sur le monde avec la sagesse érudite d’attendre que la luminosité traverse les grandes fenêtres et caresse d’une même intensité tous les objets pour offrir un bain de lumière égal et nécessaire au travail de l’artiste. Heureusement je ne cherche pas le soleil éblouissant et superfétatoire pour me réconforter à ses rayons dévastateurs, je dépose patiemment en hiver mes bûches dans l’âtre du vieux poêle Godin auprès duquel je me réchauffe les mains dont j’oublie le refroidissement, emporté par mon esprit en ébullition de créateur patenté.

Je considère la rue comme le prolongement de mon atelier, je sors sans me changer. Hier soir, alors que je me rendais Chez Marcel de Montparnasse pour diner, j’ai croisé Mathilde, elle poireautait en bas de chez elle, contrariée et triste de ne pas voir son galant arriver ; elle accepta mon invitation incongrue mais amicale de partager un plat du jour au restaurant, puis la fin de la bouteille de Côtes du Rhône à la maison. Je suis parti diner seul, je reviens accompagné. Mathilde est jolie, elle a froid, je lui propose un plaid. Au cours de notre agréable conversation elle demeure secrète et réservée mais jamais, et cette qualité me plait, elle ne se réfugie derrière un petit rire gêné et gênant – méchante manie des personnes indigentes. Je lui propose de la croquer nue, car j’ai envie de la découvrir d’avantage, elle n’esquive pas la question, se lève et commence à se déshabiller tout en se rapprochant du poêle. Son espièglerie intelligente et pratique me prend de court. Je la retiens amusé et désolé : non, non, pas maintenant ! Elle continue son geste désinvolte et volontaire. Je ne dessine et ne peins que le jour. Elle me suggère, dans un soupir, que nus nous pouvons aussi faire l’amour ! Mon atelier n’est pas une alcôve. Je m’en désole avec elle. Je la supplie d’avoir la patience d’attendre les prochains jours et de bien vouloir accepter mon antre comme un lieu de vie et de travail où je cultive l’obsession de sonder l’invisible. Avec ma peinture je veux donner corps aux esprits-volutes, aux pensées agitées et silencieuses de nos désirs et de nos peurs que génèrent les êtres et les choses prégnants. Avec mes toiles, comme la fumée révèle les faisceaux des projecteurs, je veux dévoiler les ondes qui nous rapprochent : l’invisible exige d’être partagé.

Elle me trouve bien sérieux pour un artiste…

Rue Barbey de Jouy

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Vanity Fair n° 8 – février 2014

Mauvais début de semaine, un appel de l’inspecteur Nestor D. insistant dès 7h30 du matin pour que je me rende avant la fin du jour à son commissariat. De quoi s’agit-il ? Les flics ont des idées préconçues sur ce qu’ils veulent vous entendre dire. Ils s’adressent à vous par ellipses insupportables qui vous culpabilisent d’entrée de jeux. Y-a-t-il une plainte contre moi ? Mon fixie (vélo urbain à pignon fixe) a-t-il été volé ? Il ne s’agit nullement de cela… L’inspecteur revêche insiste ; je résiste. Sans motif officiel je refuse de répondre à son invitation. Vous connaissez Mademoiselle Clara Arawah ? concède-t-il enfin. Bien sûr que je connais cette célèbre et toujours belle actrice. Je me cantonne à une banale et évanescente exclamation mais le trouble commence à m’envahir. Si je demeurais encore marqué par quelques plis de sommeil me voilà tendu comme un drap parfaitement repassé. L’inspecteur entend-il au bout du fil l’emballement de mon rythme cardiaque qui accompagne l’évocation du nom de Clara ? Je n’ai plus de ses nouvelles depuis dix ans mais je demeure sensible et attentif à sa carrière. Il ajoute sans vouloir paraitre narquois mais non sans une once de condescendance bien trempée qu’il serait bien que je passe le voir.

Seules la vocation ou la nécessité peuvent vous obliger à fréquenter les commissariats de police. Je n’ai ni l’une ni l’autre. Et pourtant je me rends intrigué et inquiet à la convocation lancée par l’inspecteur. Les présentations sont simples mais durent une éternité, un round d’observation pendant lequel il m’interroge du regard alors que je tente de paraitre à l’aise.

«Monsieur, nous avons retrouvé Clara Arawah morte cette nuit à son domicile de la rue Barbet de Jouy». La phrase est partie sans que je m’y attende, je me décompose sur le champ. Je bafouille. J’ai envie de l’étrangler. Pourquoi m’a-t-il fait venir pour m’annoncer cela ? Je suis perdu, incrédule ; j’envisageais un jour de revenir vers Clara, pour reparler de nous, de notre histoire d’amour quand nous avions vingt-cinq ans, quand sa célébrité m’amusait et me faisait rêver alors qu’elle glissait sans que je l’accepte, ou veuille le voir, de l’autre côté du miroir,  irrémédiablement grisée par les propositions mirobolantes et les euphorisants. En la quittant j’ai gagné en liberté mais perdu en candeur. Je suis là désabusé et dévasté face à ce flic sans forme, sans passé et sans avenir ; je suis dans le fond carrelé d’une piscine sans eau sans pouvoir atteindre les échelles de remontée. Je ne crie pas au-secours, je me noie.

Après avoir vérifié mon téléphone mobile l’inspecteur m’apprend que derrière l’appel masqué de samedi après-midi se cachait Clara ; ce fut son dernier appel. Sa folle vie m’avait détourné des histoires d’amour passionnées, l’annonce de sa mort me plonge dans un désarroi sans bornes mais je me maudis de n’avoir pas décroché samedi, fidèle à mon sacrosaint principe de ne jamais répondre aux appels non identifiés. Ce ratage me pulvérise dans un abime de culpabilité et de frustrations. Je m’étais habitué à la savoir à distance, douloureuse certes, mais avec sa présence dans l’actualité je gardais l’espoir de la retrouver un jour. Le plus difficile n’est pas de mourir mais de survivre ; l’insupportable demeure d’avoir manqué à jamais le dernier rendez-vous sans savoir s’il s’agissait ou pas d’une intention volontaire ou bien d’une avant-dernière maladresse. Je n’ai que le regret et l’incertitude pour me consoler.

Je n’ai pas su la garder auprès de moi, la sauver. Je suis un lâche, idéaliste et paresseux. Mon père avait raison quand il m’enjoignait de ne jamais tomber amoureux d’une actrice, ou sinon de lui offrir un beau mariage…