Vanity Fair n° 16 – octobre 2014
Julia et moi, nous nous sommes quittés ce matin un brin contrariés. Parfois l’on s’énerve l’un contre l’autre alors que nous nous avouons bien volontiers de pas pouvoir dormir l’un sans l’autre.
Ce soir quand je rentre, elle est déjà couchée ; elle a laissé un mot sur la table du salon : « Mon Chéri, je n’ai pas que toi dans ma vie… (Je le sais hélas !) Je t’aime au quotidien mais il va falloir que tu t’accroches si tu veux continuer à vivre avec moi et mon sale caractère. Mon corps te réclame, mais ton amour exclusif me contraint, la flamme qui brule entre nous deux me brule, m’étouffe. J’ai besoin de respiration. Tu n’es pas le seul homme de ma vie. Accepte-le, ne sois pas jaloux ! Sans te perdre j’ai aussi besoin de vivre avec la présence sublimée et innocente de mon grand-père à mes côtés. Il m’aide à rendre l’espoir toujours possible et le doute superficiel. Tout le monde l’admirait et l’aimait. Il était génial. Les femmes l’adoraient. Il ne fâchait ni ne froissait jamais personne, il traçait sa route, déterminé et nonchalant. Par sa simple présence il émerveillait le monde. Il avait la grâce et la distinction de ne jamais laisser paraître la charge de travail et des responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Il était solaire et léger, un astre créatif et merveilleux. J’étais sa petite fille préférée – en tous cas, il avait le talent de me le laisser croire. Il m’irradiait de sa tendresse et de sa bienveillance sans jamais me considérer comme une enfant, ni comme une adulte d’ailleurs. Là s’exprimait toute sa science de l’humain. Sans lui, je ne serai pas là…»
Je me remémore l’anecdote génératrice de la carrière de Julia, un jour où elle était triste, son grand-père Achille l’invita à la suivre dans son bureau et l’installa à une table à dessin avec du papier et des crayons de couleur. « Pleure si tu veux, dessine si tu peux ! » D’une larme tombée de sa joue sur la feuille, elle fit une goutte-de-pluie-boucle-d’oreille à laquelle elle enjoignit un sourire. De ce dessin d’enfant, son grand-père fit l’emblème de sa maison de couture et lança un département de joaillerie qu’elle dirige aujourd’hui.
Je ne veux ni arrêter son rêve d’enfant ni interrompre la belle aventure familiale, je dois juste fermer mes oreilles quand elle me rabâche « Mon Grand-Père-Ceci, mon Grand-Père-Cela ».
Avant de la rejoindre dans notre lit, je lui écris à mon tour un petit mot qu’elle lira demain matin : « Chérie, j’aime beaucoup ton grand père, surtout quand tu adoptes son ancienne manie de prendre des ‘’bains d’air’’ et de te balader toute nue dans la maison. J’ai décidé de regarder la vie du bon côté. Avec toi ! »
Cette relation » Grand Père – Petite Fille » c’est ma jeunesse, une admiration sans borne pour cet homme toujours disponible, humble et extrêmement brillant ! ( mais cela, je l’ai su bien après ).
Mes inspirations aléatoires en lisant Vanity Fair en octobre ont été, d’une part Maria Giulia Prezioso Maramotti petite fille d’Achille Maramotti créateur de Max Mara, d’autre part Victoire de Castellane arrière petite-nièce de Boni de Castellane, dandy et député de la IIIe république – c’est lui qui construisit le Palais Rose avenue Foch / voir la page Patrimoine Français sur fb -, et enfin, Benjamin Franklin qui avait la marotte de rester à poils toute la matinée. Il prenait des « bains d’air »…Avec cette palette de personnages j’ai trouvé charmant de faire avouer à une femme libre et moderne son attachement au passé en la personne de son grand père…Je suis heureux de votre réaction chère Inès.